par Vincent CIBOIS, Consultant-juriste, Confluo
Dans la poursuite de la restructuration du secteur de la formation initiée par la loi Avenir pro de 2018, la loi Marché du travail du 21 décembre 2022 réforme la VAE. La VAE permet aujourd’hui de valoriser son expérience par la validation totale ou partielle d’une certification professionnelle inscrite au RNCP, et ce, sans participer à la formation. Elle peut également permettre d’accéder à une formation sans justifier du niveau d’étude, de diplôme ou de titre habituellement requis.
En simplifiant le dispositif, deux objectifs sont principalement escomptés :
– augmenter le nombre de candidats allant jusqu’au bout de la démarche ; moins d’un sur deux aujourd’hui atteignent la dernière étape de validation,
– passer de 30 000 à 100 000 VAE par an d’ici 2027.
Quelles sont alors les conséquences et les opportunités pour les prestataires de formation ?
Même si la loi du 21 décembre 2022 est une loi cadre, dont les précisions opérationnelles ne viendront qu’avec les décrets d’application, le nouveau cadre juridique de la VAE permet d’identifier quelques perspectives pour les prestataires de formation.
Plus de candidats potentiels à la VAE, grâce à l’ouverture des publics et des expériences
Le dispositif devient universel : toute personne peut initier un parcours VAE, peu importe sa situation, son statut ou son expérience. En effet, la loi est venue supprimer la liste des publics bénéficiaires, la liste des expériences valorisables et la condition d’ancienneté d’un an.
Impacts : Pour les prestataires de formation et les professionnels de l’accompagnement, de nouveaux publics pourraient alors se présenter à eux et souhaiter valoriser leurs expériences, qu’elles soient professionnelles ou personnelles. Par conséquent, une connaissance fine des certifications, de leurs référentiels, de leurs pré-requis et des correspondances entre elles sera nécessaire afin d’accompagner au mieux ces postulants et concevoir leurs parcours. Et ce, d’autant que leur nombre pourrait également augmenter, faisant de la VAE un levier potentiel de développement pour eux.
Plus de parcours complets, grâce à la simplification de la procédure, au renforcement de l’accompagnement et à l’allongement du congé VAE
La procédure est renforcée pour les demandeurs d’emploi pour lesquels l’accompagnement par les Régions interviendra désormais tout au long de la procédure, en lieu et place qu’une fois leur dossier de candidature recevable. Par ailleurs, les parcours de VAE peuvent comprendre des actions d’accompagnement, des actions de formation et/ou des périodes de mise en situation en milieu professionnel (PMSMP).
Pour les salariés, la durée maximale du congé VAE passe de 24 à 48 heures, afin de maximiser les chances du candidat de préparer son épreuve de validation. De plus, cette durée pourra être augmentée par convention ou accord collectif pour tous les salariés.
Les jurys et leur constitution vont également être simplifiés par voie réglementaire.
Impacts : Avec ces ajustements, le législateur entend augmenter le nombre de candidatures VAE allant jusqu’à la validation finale et l’organisation des jurys par les certificateurs. L’accompagnement durera potentiellement plus longtemps et impactera donc le temps de travail de l’accompagnateur, mais devrait permettre d’améliorer la qualité des dossiers et de sécuriser l’aboutissement de la démarche des candidats.
Des parcours hybrides et au long court, avec l’ouverture de la VAE aux blocs de compétences
L’objectif de la VAE s’élargit : elle peut dorénavant viser l’obtention d’un bloc de compétences, et plus uniquement la certification professionnelle toute entière. La réforme de la VAE s’inscrit par ailleurs dans une refonte globale des certifications initiée depuis 2018, avec notamment actuellement :
– des exigences accrues pour l’enregistrement des certifications aux répertoires (RNCP et RS),
– le travail des équivalences entre certifications professionnelles mené par France Compétences,
– la refonte des certifications publiques d’État,
– le développement des micro-certifications.
La mise à jour récente du Vademecum RNCP de France compétences prend en compte ces évolutions.
Impacts : Proposer des formations certifiantes pourraient permettre de développer l’offre de formation des organismes de formation et CFA, et ce, en proposant des parcours « à la carte » (blocs de compétences de différentes certifications) et/ou hybrides (formation + VAE).
Par exemple, un titre professionnel composé de 3 blocs de compétences offre ainsi 7 combinaisons possibles (bloc 1 ; bloc 2 ; bloc 3 ; blocs 1-2 ; blocs 1-3 ; blocs 2-3 ; blocs 1-2-3). On multiplie d’autant les combinaisons si des modules de formation sont ajoutés au parcours.
L’éligibilité à la VAE des blocs de compétences pourrait également intéresser les entreprises pour organiser sur un temps long des parcours, afin de fidéliser leurs salariés par la reconnaissance de leurs acquis, concevoir des parcours de transition professionnelles ou proposer des passerelles entre les métiers. Dans une période où les transitions professionnelles et la pénurie de main d’oeuvre représentent des enjeux de ressources humaines et donc économiques, plus de congés VAE pourraient alors être financés par les entreprises. Les CFA, habitués des certifications professionnelles, pourraient aussi étendre leur offre et diversifier leurs publics vers les salariés d’entreprise, en s’appuyant d’autant plus facilement sur leur réseau de maitres d’apprentissage pour constituer leurs jurys.
Un financement pérennisé pour la VAE
Depuis la loi Avenir Pro de 2018, la VAE était financée pour les salariés soit par le CPF, soit par le plan de développement des compétences. Depuis 2020, une expérimentation permettait aux associations Transition Pro de financer la VAE. Le législateur a retenu les enseignements de cette expérimentation : les associations Transitions pro prendront en charge les frais afférents à la procédure de VAE, sous réserve du caractère réel et sérieux du projet et selon des modalités qui seront précisées par décret. Cette prise en charge devrait s’effectuer sur la base d’un montant forfaitaire maximal de 3 000 € et concernerait les frais de positionnement du bénéficiaire, d’accompagnement à la constitution des dossiers, de recevabilité et de préparation au jury, ainsi que les frais afférents à ces jurys (cf. étude d’impact du projet de loi, p.40).
Impacts : La sécurisation d’un financement devrait être le gage d’une augmentation du nombre de candidats salariés. Reste à en connaitre les modalités. Toutefois, afin d’accéder à cette « société du plein emploi », les financements dédiés aux parcours VAE risquent d’être fléchés prioritairement vers les secteurs connaissant des difficultés de recrutement ; les financeurs ayant déjà été sollicités en ce sens par le Ministère du travail, et ce, notamment dans le cadre de l’expérimentation de la VAE inversée. Une veille sur les métiers en tension et le développement d’une offre certifiante dans ces secteurs s’impose donc, seul ou en partenariat.
Une expérimentation de la « VAE inversée »
Prioritairement destinée à la certification des personnels exerçant des activités d’aide aux personnes vulnérables et aux métiers en tension, une expérimentation de « VAE inversée » devrait intervenir pour trois ans, et au plus tard à partir du 1er mars 2023. S’appuyant sur un contrat de professionnalisation, son principe est de rendre concomitant le processus d’acquisition de compétences par l’emploi et la formation et celui de la reconnaissance de ces compétences, dans un parcours hybride (formation, actions de VAE, accompagnement…). Et ce, pour des expériences acquises en amont ou au court du contrat de professionnalisation. Pour permettre cette expérimentation, le contrat de professionnalisation devrait être assoupli prochainement par voie réglementaire.
Impacts : A ce stade, il est difficile d’en savoir davantage ; les consultations avec les professionnels du secteur étant en cours. Il convient pour les prestataires de formation de réaliser une veille juridique afin de connaitre les modalités opérationnelles de cette expérimentation.
Un nouveau service public de la VAE
Un nouveau service public de la VAE, porté par un groupement d’intérêt public (GIP), sera constitué à partir du 1er juillet prochain. Composé notamment de l’État, des Régions, de Pôle emploi, de l’Afpa, des Opco et des associations Transitions pro, il aura pour mission d’informer, d’orienter et d’accompagner les candidats à la VAE. Ayant pour objectif central de promouvoir le dispositif, il proposera un nouveau guichet unique et numérique pour favoriser les démarches des candidats à la VAE. Offrant des services complémentaires aux Points relai conseils VAE régionaux, il devrait remplacer le site national actuel sur la VAE.
Impacts : Au-delà des membres de droits, d’autres personnes morales publiques ou privées pourront adhérer et intégrer ce nouveau service public. Certains prestataires de formation et accompagnateurs, de par leur positionnement historique, actuel ou futur vis-à-vis de la VAE, pourraient avoir intérêt et déposer d’une légitimé pour faire partie de ce nouveau service public. Les modalités pour en faire partie restent encore à définir à ce jour.
A ce jour, de nombreuses précisions et modalités opérationnelles sont attendues pour rendre effective cette nouvelle monture de la VAE. Plusieurs décrets devraient ainsi être publiés dans les prochaines semaines.
Enfin, la réforme de la VAE s’inscrit dans une démarche plus globale et à venir : l’évolution prochaine des dispositifs de transition professionnelle. En effet, un projet de loi sur le travail, l’emploi et la formation devrait être proposé à l’été, une fois la réforme des retraites adoptée. Certains dispositifs devraient évoluer, afin de favoriser les transitions, tels que la Pro-A, le projet de transition professionnelle (PTP), le contrat de professionnalisation ou la démission pour reconversion ou création ou reprise d’entreprise.
Pour aller plus loin :
Vincent CIBOIS est l’auteur d’une étude juridique sur la réforme de la VAE intitulée « Loi Marché du travail : l’universalisation de la VAE, une nouvelle étape pour le droit de la formation professionnelle ? », publiée dans la Revue Droit du Travail de Dalloz, en janvier 2023.
Portant principalement sur l’universalisation de la VAE et l’instauration du nouveau service public, il interroge la conception du droit de la formation professionnelle et son avenir face au défi des précisions réglementaires à venir.